À Addis, le temps prend son temps pour les étrangers… Je dirais même qu’il va étrangement lentement… Les heures se lisent et se disent dans une ascension qui n’aboutit pas ou presque pas… 12 heures s’écoulent du lever au coucher du soleil… 12 heures pendant lesquelles s’enchaînent cafés, fruits, pâtisseries et injera… à 1 heure, le soleil vient de se lever et brûle… l’Afrique, ce lumineux continent où tout semble être vivant… où tout semble être directement relié à la terre… Ce soleil qui éclaire, qui brûle et qui, paradoxalement, me donne l’impression que le temps est figé… sauf un groupe de coureurs et les chauffeurs d’autobus qui doivent se battre pour soutirer quelques birrs à leurs compétiteurs, tout semble arrêté… ou ne pas avoir d’autre but que de passer le temps… La technologie n’est pas tellement au rendez-vous… ni les nouvelles du reste du monde – sauf dans les quelques endroits fréquentés par les étrangers… de toute façon, à quoi bon suivre les événements? Les histoires d’ailleurs? Les gens d’ici savent bien que les caméras devraient être tournées vers eux… et ce serait à eux de saluer le monde derrière les journalistes et d’attirer une quelconque attention…
- Le temps va beaucoup trop vite ici… La journée passe sans que j’arrive à amasser suffisamment d’argent pour manger… si je le pouvais, j’achèterais des médicaments pour ma mère malade… des Bic pour l’école et des nouveaux souliers pour mon petit frère… Aujourd’hui, j’ai vu un groupe de 4 farenjis assis sur la terrasse d’un café… ils s’étendaient une crème dans le visage… ce sont les mêmes qui sont montés dans mon autobus hier… ils riaient en chantonnant bole bole… ce sont aussi les mêmes qui ont payé leur passage avec un billet de 100 birr…
En tant qu’étranger, je me dois quand même d’entretenir quelques soucis… Il faut définitivement beaucoup de courage pour poser les pieds en Éthiopie – un pays où a déjà régné la famine et un pays au cœur d’un continent où tout semble instable… J’ai délibérément choisi de me mettre en position combien précaire… qu’on m’affuble d’une étiquette de héros! Que m’arriverait-il si je ne tolérais pas la nourriture locale? Et si j’oubliais de me désinfecter les mains avant de manger? Et si je devais marcher sur une route non pavée… ou dans des excréments d’animaux… ou si des animaux décidaient subitement de me charger… Et ce ne sont pas tous les gens d’ici qui doivent se résigner au supplice des vaccins… Non, vraiment, pour toutes ces raisons, je mérite le respect!
- Je suis né en Éthiopie… Le seul pays que je connaisse… J’entends parler d’autres pays, mais je n’en connais pas grand-chose… Je connais le Canada et les Etats-Unis… J’espère qu’Obama deviendra président… parce qu’il est noir comme moi! Je suis ici chez moi dans mon pays… Je comprends que tout ne va pas parfaitement bien…mais je suis vraiment occupé… en plus de travailler, je dois préparer les repas… on mange de l’injera… je sais que dans certains restaurants, on la sert avec une multitude de sauces différentes… pas chez moi… mais je prépare les repas du mieux que je peux… Je pense à ceux qui n’ont pas cette chance… qui vivent sur les trottoirs au dépens des passants… la polio est un fléau… je sais que certains n’ont pas de maison et ne pourraient jamais faire le travail que je fais… les muscles de leurs jambes sont complètement atrophiés… ils se transportent avec leurs mains…
En fait, pourquoi serait-ce moi qui devrait avoir du mérite… non… dans le luxe et les murs qui m’entourent, je demeure un farenji… un blanc rempli de bonnes intentions, mais qui n’arrive toujours pas à s’exprimer et qui ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise en demandant la permission pour prendre des jeunes en photo… les photos d’enfants africains sont à la mode… dans un cadre IKEA accroché sur un mur du salon, un enfant africain reçoit toujours beaucoup d’attention… On les aime aussi en noir et blanc… ces enfants savent apporter du contraste à une photo… Je me demande qui, entre eux et nous, sait le plus apprécier les couleurs…
- J’habite dans une maison… qu’il me faut entretenir très souvent… surtout durant la saison des pluies… les murs absorbent l’eau et menacent constamment de s’écrouler… on a l’électricité, mais on partage la même eau avec nos voisins… c’est avantageux de vivre dans la capitale… Aujourd’hui, 4 farenjis sont montés dans mon autobus… quand ils sont descendus, j’ai vu des enfants les encercler… Ils les ont pris en photo et se sont acharnés à leur poser des questions en anglais… Est-ce qu’ils ne savent pas que l’anglais n’est pas notre langue?
Pour l’instant je suis encore léthargique dans une ville où je n’ai que tellement peu d’opportunité de m’investir ou de m’intégrer… sauf bien sûr avec tous les autres étrangers… les libertés sont limitées pour des raisons de sécurité… toutefois, où sont les feux de circulation? Ou les traverses pour piétons? Y a-t-il au moins des panneaux d’arrêt? Pourquoi les portes des minibus semblent-elles sur le point de tomber? Et les sièges des taxis se déplacent-ils à l’intérieur même de la voiture? Et pourquoi devons-nous pousser le 4x4 fourni par notre organisation? Est-ce que je deviens exigeant… ou ai-je seulement hâte d’entrer en action?
- Mon autobus est relativement vieux, mais il fonctionne bien… les fenêtres et les portes s’ouvrent et se ferment très bien… Les sièges sont confortables et les revêtements des sièges viennent d’être remplacés… il y avait un spécial sur le rose… Ce n’est pas un travail facile… Les autobus sont tellement nombreux et je me dois constamment d’attirer les gens dans mon autobus… c’est mon salaire et la survie de ma famille qui en dépend… Heureusement, on n’est pas obligé d’arrêter aux intersections… le temps est critique…
Manger demeure notre principale activité – sans même attendre d’avoir faim… sans se soucier du budget… Et pour prévenir quelques problèmes de digestion reliés à la nourriture locale, existent des restaurants italiens, portugais et asiatiques… j’aurais quand même bien besoin d’une poutine… et je prendrais bien une photo du menu s’il s’y trouvait une erreur… ‘poutin’… pas de cadre pour celle-là toutefois…
- Je suis en charge de la nourriture pour ma famille… J’ai presque toujours faim et ma mère se doit de bien manger… c’est ce qu’a recommandé le docteur… elle l’a rencontré il y a plusieurs mois… elle a subi un test de dépistage du VIH… son résultat était positif… ici, on sait que les personnes infectées sont condamnées à mourir à court terme… mais il ne faut pas parler de cette maladie… c’est une infection transmise sexuellement… mon père est mort de cette maladie… mais il a toujours été fidèle à ma mère… ma mère aussi… mes parents ne sont pas comme beaucoup d’autres adultes… ils savaient ce que c’était et comment s’en protéger… mais un jour, mon père a entendu des cris chez la voisine et est allé voir ce qui se passait… il y a trouvé un cambrioleur qui l’a entraîné dans une violente bagarre… mon père a subi de sévères coupures – tout comme le voleur… pas de chance… il a ensuite infecté ma mère car dans les semaines suivantes, il a obtenu un résultat négatif lors d’un test pour dépister le VIH… il lui manquait cette partie d’information – le temps que prend le virus pour se répandre et que prend le corps pour se défendre…
Je ne peux non plus m’empêcher de remarquer l’odeur… mélange de poussière, d’excréments d’animaux, d’égouts et d’un mélange d’essence et d’huile s’échappant des voitures… Si on s’y mettait tous ensemble, cette ville pourrait rayonner de propreté…
- Lorsque mon autobus tombera en passe, ce sera sa fin… je dois admettre qu’il a déjà subi plusieurs réparations… j’ai seulement 14 ans et je devrai trouver autre chose à faire… je devrai donc abandonner la carcasse de mon autobus sur le bord d’une route… en vendre quelques morceaux peut-être… je suis très fatigué et si ce scénario se produit, je devrai tout faire pour trouver une autre source de revenus car ma mère va de moins en moins bien… mais pour l’instant, j’ai hâte de rentrer chez moi pour l’embrasser, de sentir l’odeur qui caractérise mon endroit de vie… tant que la vie en fait partie…
Demain, on part vers Debre Sina en espérant pouvoir y faire quelque chose de positif…
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2 comments:
Je ne te savais pas si poête Olivier! C'est vraiment merveilleux ce que tu écris, j'ai l'impression de pouvoir vivre tes émotions au travers des phrases.
Continue à nous raconter l'Afrique et surtout prends soin de toi.
Je ne te savais pas si poête Olivier! C'est vraiment merveilleux ce que tu écris, j'ai l'impression de pouvoir vivre tes émotions au travers des phrases.
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